dimanche 9 novembre 2008

pépitoscope, 8 novembre 2008

(in "Rue89") Pour tout décor, un ruban de scotch comme la police en tend pour déterminer un périmètre de sécurité lors d’un attentat. Avec la mise en scène de Gwénaël Morin et une distribution emmenée par la phénoménale Stéphanie Béghain, la pièce de Camus sonne étonnamment… juste.

Le décor du spectacle -fond jaune et "les justes" écrit en lettres noires- délimite le plateau considéré comme un périmètre d’insécurité. Un plateau quasi vide: côté droit une table où enfoncer les clous de l’histoire ou à marteler ses convictions, côté gauche un grand carton de récupération posé sur deux tréteaux formant une instable table de réunion où les certitudes vacillent. Et des chaises où asseoir des vies et les foutre en l’air.

C’est autour de la table précaire que les acteurs sont déjà assis, attendant que les spectateurs soient tous entrés. Pas de costume, mais des habits d’aujourd’hui qui sont les leurs. Personne ne signe les costumes et les décors puisqu’ils sont inexistants ou presque. On est dans un espace de travail, celui d’acteurs se coltinant bille en tête une pièce du répertoire étudiée dans les écoles, "Les Justes" de Camus.

Une pièce qui parle du terrorisme révolutionnaire

Sujet de la pièce bien résumé dans le programme distribué à l’entrée: "en février 1905 à Moscou, un groupe de terroristes appartenant au parti socialiste révolutionnaire organisait un attentat à la bombe contre le Grand Duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances particulières qui ont précédé et suivi font le sujet des “Justes”."

Pourquoi avoir choisi cette pièce? Parce qu’elle parle aux acteurs de personnages dont leurs préoccupations leur sont proches et qui ont grosso modo leur âge, parce qu’elle parle de terrorisme, de suicide, d’amour et du regard innocent d‘un enfant, parce qu’elle pose la question de la révolte et de son rapport à la violence, parce qu’on en finit jamais avec l’adolescence. "Comme eux nous nous exposons, comme eux nous fondons notre action dans l’espoir de changer la vie", écrit le metteur en scène Gwénael Morin. Mais les personnages "tuent et meurent" tandis que les acteurs ne font que du théâtre.

On n’oublie jamais qu’on est au théâtre

C’est dans cet écart que la mise en scène s’inscrit: on n’oublie jamais qu’on est au théâtre (une actrice ajoutée à la distribution dit en scène les didascalies et fait la régie lumière) mais on joue la pièce débarrassée de ses oripeaux historiques, dans sa nudité (au besoin on coupe dans le texte quand ça patine). Un équilibre difficile à tenir.

Gwénaël Morin et ses acteurs n’ont pas (encore) la dextérité et la finesse du groupe TG Stan dont ils ont certainement vu les spectacles donnés au théâtre de la Bastille où ils se produisent. Ils cherchent, ils se cherchent. A vue. Ils sont déterminés, entiers comme les personnages de Camus, ils regardent droit devant et cela emporte notre adhésion.

Jouer tout le temps pour tous

Remplacez le Grand duc par un grand patron et la pièce vous parlera sans détour de groupes terroristes révolutionnaires comme Action directe. C’est probablement sous-jacent au travail mais cependant jamais dit et c’est bien ainsi. N’empêche, le visage de Stépanie Béghain (Dora, la seule femme du groupe) fait violemment penser à celui de Nathalie Ménigon (au moment de son arrestation). Et c’est bouleversant.

Toute l’année 2009, le metteur en scène et cinq acteurs (dont Stéphanie Béghain, Julian Eggerickx et Grégoire Monsaingeon qui jouent dans "Les Justes") vont investir les laboratoires d’Aubervilliers pour un "Théâtre permanent" selon cinq lignes de travail: "jouer tous les soirs, répéter tous les jours, transmettre en continu, intégrer d’autres formes de théâtre, ouvrir le plus possible". A suivre.

(c) Jean-Pierre Thibaudat

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